Livestock Research for Rural Development 20 (10) 2008 Guide for preparation of papers LRRD News

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Supplémentation en savons de calcium de la ration des vaches laitières en début de lactation: Effets sur la production et la composition du lait

M Ben Salem et R Bouraoui*

INRAT, Laboratoire des Productions Animales et fourragères, 2049 Ariana, Tunisie
Lahmar.mondher@iresa.agrinet.tn
* ESA Mateur, 7030 Mateur, Tunisie

Résumé

L’effet de la supplémentation en savons de calcium sur la production et la composition du lait a été étudié chez la vache en début de lactation. Vingt vaches Holstein ont été utilisées selon un dispositif de blocs complets randomisés. Elles ont été réparties en 3 blocs sur la base de leurs poids vif, production laitière et numéro de lactation. Elles ont reçu une ration de base composée de l’ensilage de triticale, de la paille de blé et de ray-grass, de bersim ou de l’orge, selon les périodes. Elles ont été complémentées soit avec du concentré seul (lot Témoin), soit du concentré plus 600g de savons de calcium (lot Expérimental). L’ingestion de matière sèche totale (MST) et la production laitière brute ont été mesurées. L’évolution de la note d’état corporel a été suivie toutes les 2 semaines. La composition du lait a été déterminée et la production laitière corrigée à 4% de matière grasse (4%MG) et l’efficacité alimentaire ont été calculées.

 

Les résultats ont montré que l’utilisation des savons a significativement (P< 0,05) réduit la MST (22,4 kg contre 23,7 kg), augmenté la production laitière brute (24,6 contre 21,4 kg/v/j) et à 4% MG ainsi que le taux de matière grasse dans le lait (3,75 contre 3,54%),  respectivement pour les lots expérimental et témoin. En revanche, le taux protéique a diminué avec l’utilisation de la matière grasse (- 0,1%, P< 0,05). De même, l’efficacité alimentaire (1,1 contre 0,85 kg lait/kg MS) et l’état corporel des vaches (2,75 contre 2,65) se trouvent améliorés par les savons calciques respectivement pour les lots témoin et expérimental.

 

Il a été conclu que, sous les conditions tunisiennes d’alimentation où les fourrages de la ration de base sont souvent de faible valeur énergétique, il est recommandé de supplémenter les vaches en début de lactation en matière grasse protégée à raison de 3% de la MST de la ration.

Mots clés: déficit énergétique, lait, lipides protégées, vache



Supplementation of early lactating cow diets with calcium salts: effects on milk production and composition

Abstract

Twenty early lactating Holstein cows were used in a complete randomized bloc design to study the effects of dietary supplementation with calcium salts of palm fatty acids on milk production and composition. Cows were blocked by body weight, milk production and lactation number and randomly allocated from blocks to 2 treatments during the first 120 days of lactation. Treatments were: 1) concentrate only (Control, C) and 2) control + 600 g/cow/day of calcium salts (Experimental, E). Cows received the same basal diet consisting of tritical silage, wheat straw and rye-grass, berseem or barley. Dry matter intake (DMI) and milk yield were measured. Body condition scores were monitored.  Milk samples were collected and milk composition was determined. 4% Fat corrected milk and feed efficiency were calculated.

 

Results showed that calcium salts decreased DMI (22.4 kg vs. 23.7 kg for the experimental and control diets, respectively), increased milk yield (24,6 vs. 21,4 l/cow/day) and milk fat content (3.75 vs. 3.54%), but decreased the protein content by 0.1 percentage point. Supplemental calcium also improved body condition score and feed efficiency (1,1 vs. 0,85 kg milk/kg DM and 2.75 vs. 2.65, respectively for feed efficiency and body score and experimental and control diets).

 

It is concluded that, under current feeding conditions in Tunisia where most forages have low energy values, it is recommended to supplement early lactating cows with calcium salts at 3% of dietary dry matter.

Key words: cow, energy deficit, milk, protected fat


Introduction

Le début de lactation constitue la phase la plus critique du cycle de production chez la vache laitière. En effet, les premières semaines de lactation se caractérisent par un déficit énergétique important et inévitable (de Vries and Veerkamp 2000). Ce déficit réduit la production laitière et affecte la persistance de production. Par ailleurs, certaines alternatives ont été adoptées en vue d’augmenter le niveau énergétique de la ration et réduire le déficit énergétique observé. Dans nos élevages, l’alternative la plus utilisée dans ce sens est l’augmentation de la quantité de concentré dans la ration. Une telle pratique s’accompagne souvent par des troubles métaboliques et nutritionnelles qui altèrent la composition du lait, plus particulièrement le taux butyreux (Grummer 1993). Alternativement l’incorporation des lipides dans la ration pourrait augmenter la densité énergétique de cette dernière et par là la production laitière sans réduire le taux butyreux dans le lait (Salfer et al 1995).

 

En Tunisie, les travaux sur l’incorporation des matières grasses dans la ration des vaches laitières sont limités. Le seul travail publié dans ce sens (Lahmar et al 2003) a montré que l’utilisation de 200g d’huile de soja /vache/jour sous sa forme naturelle a engendré chez les vaches laitières en début de lactation une augmentation de la production laitière de 2,8 kg pour le lait brut et de 1,3 kg pour le lait corrigé à 4% de matière grasse du fait d’une diminution observée pour le taux butyreux chez les animaux ayant reçu l’huile. Or, il a été démontré que l’utilisation des matières grasses sous leur forme naturelle pourrait entraîner une chute des taux butyreux et protéiques du lait. Une alternative consiste en l’incorporation des lipides protégées, telle que les savons de calcium. L’objectif de ce travail est d’étudier et quantifier l’impact d’utilisation des matières grasses protégées à base de l’huile de palme sous forme de savon de calcium, appelé Magnapac®, sur les performances des vaches laitières en début de lactation, notamment sur l'ingestion de la ration totale, la production laitière, la composition chimique du lait et sur l'état corporel des vaches.

 

Matériels et méthodes 

Un essai d’alimentation a été conduit sur 20 vaches laitières fraîchement vêlées. L’essai a duré 16 semaines durant les 120 premiers jours de la lactation. Cette durée était divisée en deux périodes: une première période de 2 semaines d’adaptation aux traitements et une seconde période de 14 semaines pour les mesures et les prélèvements d’échantillons. Le matériel utilisé et les conditions du déroulement de l’essai sont décrits dans les paragraphes suivants.

 

Animaux, alimentation et dispositif expérimental

 

Vingt vaches laitières de race Holstein appartenant à un grand troupeau de production ont été utilisées pour la conduite de l’essai. Ces animaux ont été choisis sur la base de leur production laitière pendant les lactations précédentes, le numéro de lactation et le poids vif de manière à obtenir 2 lots homogènes. Elles étaient en moyenne à 2 semaines de la date prévue pour le vêlage, avec un rang moyen de lactation de 2 et un poids vif moyen de 580 kg au début de l’essai.

 

Les vaches étaient conduites en stabulation libre sur litière paillée. Elles ont reçu une ration de base constituée, selon les périodes, de l’ensilage de triticale, de la paille de blé et de la verdure de ray-grass, de bersim et de l’orge selon les périodes. La complémentation a été assurée soit par un apport d’aliment concentré de production pour vache laitière pour le lot témoin, soit par du même concentré supplémenté avec de la matière grasse protégée (600 g par vache par jour) à base d’acides gras de l’huile de palme commercialisé sous le nom de Magnapac® pour le lot expérimental. Sur la base de la matière sèche, le magnapc contient 88% de matière grasse et 9,5% de calcium. La ration de base a été distribuée à volonté en deux repas. La quantité de concentré a été distribuée en 5 repas.

Deux traitements (témoin et expérimental) ont été comparés. Ils diffèrent uniquement par l’utilisation de la matière grasse protégée pour le lot expérimental. Cette dernière a été distribuée incorporée dans le concentré à raison d’une quantité totale de 600 g par vache par jour. Les traitements ont été affectés aux vaches au hasard selon un dispositif expérimental de blocs complets randomisé.

 

Mesures

 

Pour déterminer les quantités ingérées, les quantités d’aliments distribuées et refusées par lot ont été pesées une fois par jour à la même heure et des échantillons représentatifs ont été prélevés quotidiennement. Une partie de chaque échantillon a été séchée à 105°C pour la détermination de la matière sèche. Le reste a été séché à 50°C, puis broyé et préparé pour les analyses chimiques ultérieures. Un contrôle laitier individuel des vaches a été effectué quotidiennement pour les deux traites consécutives (le soir et le lendemain matin) durant toute la période de collecte.

 

Pour suivre l’état corporel des animaux, une note d’état de chair a été attribuée à chaque vache au début de l’essai, au vêlage puis toutes les 2 semaines en utilisant une grille de notation allant de 1 à 5 (Sniffen et Ferguson 1993).

 

Prélèvements et analyses chimiques des aliments et du lait

 

Aliments

 

Des échantillons représentatifs des aliments ont été constitués pour la période expérimentale à partir des prélèvements effectués. Ces échantillons ont été broyés et analysés pour déterminer leurs teneurs en matière sèche, cellulose, matière minérale, matières azotées totales et en matière grasse par extraction à l’éther diéthylénique selon les méthodes A.O.A.C. (1990). Les teneurs en phosphore et en calcium ont été déterminées par absorption atomique selon l’A.O.A.C (1990). Les valeurs nutritives des aliments (tableau 1) ont été calculées à partir des résultats de leur composition chimique sur la base des formules préconisées par l’I.N.R.A (1981) pour les fourrages verts et par l’I.N.R.A (1978) pour le concentré. Quant aux PDIE et PDIN du concentré, elles étaient calculées sur la base des formules de l’I.N.R.A (1981).

Tableau 1.  Composition chimique et valeurs nutritives des aliments (% MS)

 

Aliments

Ensilage

Bersim

Ray-grass

Orge

Concentré

% Matière sèche

41,4

15,6

13,9

30,3

89

Composition chimique, %MS

 

 

 

 

 

        MAT

6,34

18,3

10,4

7,7

18,2

        Cellulose

34,4

21,4

35,6

35,6

5,8

        Ca

0,9

3,32

1,12

0,65

1

        P

0,32

0,3

0,5

0,16

0,65

Valeur alimentaire, /kg MS

 

 

 

 

 

        UFL

0,53

0,78

0,6

0,73

0,96

        PDIE, g

63

80

81

55

120

        PDIN, g

45

101

97

61

112

Lait
 

Des échantillons de lait prélevés à chaque traite au cours du 2ème et 6ème jour de chaque semaine de la période expérimentale ont été tout d’abord conservés à 4°C. Puis un échantillon représentant un pourcentage fixe du lait produit a été composé à partir des échantillons des différentes traites, conservés au bichromate de potassium et congelés jusqu’à analyse. Ces échantillons ont été analysés au laboratoire du programme national du contrôle des performance à Sidi Thabet pour déterminer leur teneur en matières grasses et azotées totales par la méthode d’absorption dans le moyen infra rouge en utilisant un appareil milko scan 4000 (Foss Electronic, France).

 

Analyses statistiques

 

Les données expérimentales concernant l’ingestion de matière sèche, la production laitière, la composition chimique du lait et la note d’état corporel ont été soumises à une analyse de la variance en utilisant le programme SAS (1988). Les modèles 1et 2 ont été utilisés pour déterminer l’effet des différents facteurs. Le modèle 1 a été utilisé pour l’analyse des données obtenues sur toute la période expérimentale. Il est de la forme :

Yijklm = µ + Pi + Rj + Sk + Nl +Eijklm              modèle (1)

Avec :

Yijklm = Soit la quantité ingérée de matière sèche, la production laitière, le taux butyreux ou protéique, le rendements en matières grasses et en protéines, ou la note d’état corporel pendant la ième période pour le jème régime, la kème semaine, lème numéro de lactation de la mème vache.

µ = La moyenne

Pi = effet de la ième période, i = {1,2}

Rj = effet du jème régime, j = {1,2}.

Sk= effet de la kème semaine, k = {1,2,…,13}.

Nl = effet du l ème rang de lactation, l = 1 à 3.

Eijklm = erreur résiduelle.

 

Le modèle 2 a été utilisé pour l’analyse de la variance intra- période et par numéro de lactation. Il est de la forme :

Yijkl = µ + Ri + Sj+ Nk +Eijkl              modèle (2)

Avec :

Yijkl = Soit la quantité ingérée de matière sèche, la production laitière, le taux butyreux ou protéique, les rendements en matière grasse et en protéine, ou la note d’état corporel du ième régime, pendant la jème semaine, pour le kème numéro de lactation de la lème vache.

 µ = La moyenne

Ri = effet du ième régime, i = {1,2}.

Sj= effet de la jème semaine, j = {1,2,…,13}.

Nk= effet du k ème rang de lactation, k = 1 à 3.

Eijkl = erreur résiduelle.

 

Résultats et discussion 

Ingestion de la matière sèche

 

Les résultats donnés par le tableau 2 montrent que l’utilisation des matières grasses protégées a significativement (P<0,05) réduit la MST.

Tableau 2.  Effet des matières grasses protégées sur l’ingestion, la production et la composition du lait et sur l’état corporel des vaches laitières en début de lactation

Paramètre

Traitement

Ecart E/ T

Témoin

Expérimental

Ingestion totale, kg MS/v/j

23,7a

22,4b

- 5,6%

Ingestion fourrage, kg MS/v/j

13,1a

11,7b

- 11%

Lait brut, kg/v/j

21,4b

24,6a

15%

Lait 4% MG, kg/v/j

20,3b

24,2a

19%

% Matière grasse

3,54b

3,75a

5,9%

% Matière protéique

2,88a

2,78b

- 3,4%

Matière grasse, g/v/j

773b

933a

20,7g

Protéine, g/v/j

627b

695a

10,8g

Efficacité, kg lait/kg MS

0,85

1,1

29%

Note d’état corporel

2,65b

2,75a

3,8%

Les moyennes d’une même ligne affectées de la même lettre ne sont pas significativement différentes (P › 0,05)

Les vaches du lot expérimental ont consommé moins de MS par rapport à celles du lot témoin. Cette différence reflète la diminution observée pour l’ingestion du fourrage grossier. En effet, les vaches recevant les savons de calcium ont ingéré 1,4 kg,  soit environ 11%, de fourrage de moins par rapport à celles du lot témoin. Des résultats similaires ont été rapportés (Schauff et al 1992 ; Jans et Mûnger 1995). En effet, Schauff et al (1992) ont montré que l'incorporation de lipides protégés à un taux de 6% de la matière sèche dans la ration des vaches laitière engendre une diminution de l'ingestion de matière sèche plus importante que celle observée avec un taux de 3%. Des effets semblables ont été observés dans d'autres essais malgré la différence au niveau des sources lipidiques utilisées (Chilliard et al 1993). Jans et Mûnger (1995) ont attribué cet effet négatif sur l'ingestion d'une part à l'effet direct des triglycérides et des acides gras sur la fonction du rumen (activité des micro-organismes, passage de l'aliment dans le rumen) et d'autre part à l'effet de dilution de l'énergie disponible dans le rumen, et par conséquent par la réduction de l'activité microbienne.

 

Cependant, d’autres travaux n’ont rapporté aucun effet significatif (P> 0,05) des suppléments lipidiques sur l’ingestion (Chilliard et al 1993 ; Ounally 1995 ; Lahmar et al 2003). Cette contradiction est souvent attribuée à la nature, la qualité et la quantité des fourrages constituant la ration de base. En effet, ces derniers auteurs ont utilisé comme ration de base l’ensilage de maïs alors que dans notre cas il s’agit d’une ration de base composée de l’ensilage triticale, de la paille et de la verdure.

 

Production laitière

 

Les performances laitières présentées dans le tableau 2 montrent que les animaux du lot expérimental ont produit plus du lait brut et à 4% MG que ceux du lot témoin. Ainsi, l’utilisation des matières grasses protégées a permis une nette augmentation (P<0,05) de la production laitière de 3,2 kg pour le lait brute et de 3,9 kg pour le lait à 4% MG, soit une amélioration de 15% et 19% respectivement pour le lait brut et corrigé. Ceci est en accord avec les résultats de Ounally (1995) qui a trouvé une amélioration de la production laitière brute de 3,1 kg et de 4,2 kg pour le lait corrigé. De même, ces résultats concordent avec ceux de Hutjens (1991) qui ont montré une amélioration de la production laitière journalière de 3,5 à 4 kg suite à l’utilisation des suppléments lipidiques. Cependant, nos valeurs sont supérieures aux valeurs de 7,5 et 3,6% rapportées par Lahmar et al (2003) pour le lait brut et corrigé, respectivement. Cette différence pourrait être attribuée à la nature et à la dose des lipides utilisées. Lahmar et al (2003)  ont utilisé de l’huile de soja, alors que nous avons utilisé du savon de calcium à base de l’huile de palme.

 

Il est à noter que l’augmentation de la production laitière engendrée par l’utilisation des matières grasses protégées est plus importante chez les primipares par oppositions aux vaches multipares. Ceci est vrai aussi bien pour les 6 premières semaines de lactation que pour la deuxième période. Elle pourrait être attribuée au fait que la capacité d’ingestion des primipares est plus faible que celle des multipares et que l’augmentation de la densité énergétique de la ration par l’incorporation des matières grasses a permis, particulièrement chez les primipares, de combler le déficit occasionné par leur plus faible capacité d’ingestion.

 

Efficacité alimentaire

 

Il de dégage des résultats précédents sur l’ingestion et la production laitière que l’efficacité alimentaire la plus élevée a été obtenue pour le lot expérimental. L’amélioration observée est de l’ordre de 29% (tableau 2). Par ailleurs, il est clair que l’incorporation des matières grasses protégées dans la ration des vaches laitières en début de lactation améliore leur efficacité alimentaire. Ce qui se traduirait par une amélioration de la rentabilité de l’élevage laitier.

 

Composition chimique du lait

 

L’analyse de la variance a montré que le régime a un effet significatif (P<0,05) sur les taux butyreux et protéique. Le tableau 2 montre que les animaux du lot expérimental ont produit un lait plus riche en matière grasse par comparaison à ceux du lot témoin (3,75% contre 3,54%). Ce résultat est en accord avec celui rapporté par Jerred et al (1990) qui ont trouvé que l’addition de 5% de matière grasse dans la ration permet d’améliorer significativement le taux butyreux de 3,1g par litre de lait. De même, Jans et Mûnger (1995) ont indiqué que l’incorporation des lipides protégés dans la ration améliore le taux butyreux du lait. Notre résultat est, cependant, supérieur à celui trouvé par Grummer (1993) qui indique que l’apport des lipides augmente le taux butyreux de 1,4 g/kg de lait. Toutefois il reste inférieur à la valeur 5,2 g/kg de lait rapportée par Chilliard et al (1993). Par ailleurs, et contrairement aux lipides intacts, particulièrement les huiles, qui entraînent une dépression du taux butyreux, les matières grasses protégées améliorent ce dernier.

 

Cette amélioration est expliquée en partie, non seulement par l’accroissement de la valeur énergétique de la ration distribuée aux vaches laitières, mais également par l’apport des acides gras longs nécessaires à l’élaboration et la synthèse de la matière grasse du lait au niveau de la mamelle tout en évitant les effets négatifs sur les fermentations du rumen, en particulier sur la cellulolyse (Metge 1990).

 

Par opposition au taux butyreux, le taux protéique a chuté (P<0,05) de 0,1 point de pourcentage suite à l’incorporation des lipides protégés (tableau 2). Ce résultat est en accord avec la constatation de Jans et Mûnger (1995) qui indiquent que l’incorporation des lipides protégés engendre une baisse du taux protéique dans le lait. Par contre, elle ne supporte celui de Rogers et Stewart (1982) qui indique une amélioration du taux protéique de 3,7% en faveur du régime supplémenté en matière grasse. Dans ce sens, Jerred et al (1990) ont également trouvé une légère augmentation du taux protéique du lait de 0,2 g/kg.

 

Cette diminution observée pour le taux protéique suite à l’utilisation des matières grasses protégées dans la ration des vaches laitières pourrait s’expliquer par l’antagonisme entre la production laitière et le taux protéique entraînant la dilution de ce dernier.

 

DePeters et Cant (1992) proposent deux mécanismes pour expliquer la chute du taux protéique. Le premier indique que la supplémentation lipidique entraîne une augmentation de la production laitière plus grande que la production de la quantité des protéines, cette dilution paraît être à l’origine de la diminution du taux protéique dans le lait. Le deuxième mécanisme consiste en l’augmentation de l’efficience de la synthèse lactée. Quant à Wu et al (1993), ils suggèrent que la diminution du taux protéique chez les vaches laitières recevant des lipides est dû à la diminution de la quantité de matière sèche ingérée qui entraîne une diminution de la quantité d’acides aminées essentielles pour la synthèses des protéines du lait. Dans la présente étude, il paraît que l’incorporation des matières grasses a affecté l’efficience de la synthèse lactée ou efficacité alimentaire ce qui peut expliquer en partie la chute observée pour le taux protéique.

 

Rendements en matières grasse et protéique 

 

Les vaches du lot expérimental ont produit des quantités journalières moyennes de matière grasse plus élevées (P< 0,05) que celles du lot témoin. L’augmentation enregistrée était de 160 g/v/j, ou l’équivalent de 20%. Ceci confirme le résultat trouvé par Ounally (1995) qui a rapporté une différence significative de 168 g par vache et par jour au niveau du rendement en matière grasse entre le lot expérimental et le lot témoin. Cependant, il est plus important que celui rapporté par Lahmar et al (2003) et qui n’ont trouvé qu’une différence de 30g entre les deux lots. L’écart entre les résultats pourrait être expliqué par l’effet bénéfique des matières grasses protégées sur le taux butyreux par comparaison à l’huile de soja.

 

Malgré la chute du taux protéique pour le lait des vaches du lot expérimental, ces dernières ont produit des quantités moyennes des protéines significativement plus élevées (P< 0,05) que celles du lot témoin (+ 68 g/v/j ; Tableau 2). Ceci va en parallèle avec le résultat de Ounally (1995) qui a rapporté une amélioration du rendement journalier en protéine de 13,9%. Ce résultat peut être expliqué par le fait que les animaux du lot expérimental ont produit beaucoup plus du lait que ceux du lot témoin et que la chute du taux protéique n’est pas tellement importante.

 

L’état corporel des vaches

 

L’état corporel des vaches a été évalué dans notre étude à partir d’une note traduisant la condition de chair de l’animal. Cette note a été attribuée pour chaque vache toutes les deux semaines. La moyenne générale par lot est donnée au tableau 2. Les valeurs obtenues montrent qu’à 90 jours de lactation, les vaches du lot expérimental ont présenté un meilleur score par comparaison à celles du lot témoin. La différence n’est cependant pas significative (P> 0,05). Ce résultat supporte les observations de Sniffen et Ferguson (1993) qui ont indiqué que les vaches ne reprennent complètement leur condition corporelle qu’à partir du 6ème mois de lactation.

 

Evaluation économique

 

Sous les conditions de la présente étude, la supplémentation en lipides protégés a augmenté la production laitière journalière de 3,2 litres par vache et a amélioré l’état corporel de 0,1 point. Or, il a été rapporté dans la bibliographie qu’une amélioration de la production laitière de 1 litre au pic se traduit par une augmentation moyenne de 200 (chez les multipares) à 220 litres (chez les primipares) sur toute la lactation (Wolter 1997). De même, une amélioration de la note d’état corporel d’un demi-point (0,5 point) est associée à une amélioration moyenne du taux de gestation de 10% (Butler 2005). Ainsi, dans la présente étude l’amélioration du pourcentage du taux de gestation serait de 2%.

 

Sachant que la tonne de savons de calcium coûte 1540 dinars Tunisien (DTN) et que le prix de vente du lait est de 0,590 DTN le litre, le gain résultant de la supplémentation en matière grasse s’élève à 295 DTN par lactation (l’équivalent de 250 US$) (tableau 3). Il s’agit là d’un retour sur investissement de 3,2. A cela s’ajoute le gain au niveau de des quantités des fourrages consommés en moins (- 1,4 kg MS/v/j) avec la supplémentation en matières grasses.

Tableau 3.  Gain économique résultant de la supplémentation des vaches en matière grasse protégée

Paramètre

Moment du cycle

100 premiers jours de lactation

Lactation entière*

Gain provenant du lait, DTN**

3,2 x100x 0,59 = 189

3,2x200 x0,59 = 377

Gain veau (+0,026 veau/cycle) ***

-

500  x  0,02 = 10

Charge matières grasses par vache pour les 100 jours

0,6 kg x 100 x 1,540 = 92

- 92

Gain total,  DTN/v/j

189 – 92 = 97

295

* Une amélioration de la production laitière de 1 litre au pic est associée à une augmentation moyenne de 200 (multipares) à 220 litres (primipares) sur toute la lactation (Wolter 1997),

** 1 dinar Tunisien équivaut 0,85 Dollar Américain ; Prix de vente d’un litre de lait est de 0,590 DTN,

 *** Une amélioration de la note d’état corporel de 0,5 point est associée à une amélioration du taux de gestation de 10% (Butler 2005) ; valeur du veau à la naissance = 500 DTN.

Conclusions  

Ces résultats, obtenus sous les conditions d’un élevage Tunisien, confirment ceux publiés à l’étranger quant aux effets positifs de l’incorporation des matières grasses protégées dans la ration sur la production et la composition du lait des vaches en début de lactation. Une telle incorporation pendant les 100 premiers jours de lactation augmente la production laitière journalière brute et standard respectivement de 3,2 et 3,9 kg, soit l’équivalent de 15 et 19% par vache. Elle permet également aux vaches de maintenir un meilleur état corporel après le vêlage favorable une reprise plus rapide de la fonction de reproduction et à des meilleures performances reproductives. Ainsi, dans la pratique, particulièrement lorsque l’apport énergétique de la ration de base est insuffisant, il est recommander de supplémenter les vaches en début de lactation en lipides protégés, tel que le Magnapac®, à raison de 3% de la matière sèche totale. Ceci se traduirait par une rentabilité plus élevée des exploitations laitières et par un développement du secteur bovin laitier dans le pays.

 

Références  

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Received 5 July 2008; Accepted 25 August 2008; Published 3 October 2008

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