Livestock Research for Rural Development 28 (4) 2016 Guide for preparation of papers LRRD Newsletter

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Lutte contre les tiques du bétail en Côte d’Ivoire par des méthodes traditionnelles

A Azokou1,2, Y L Achi2,3 et M W Koné1,2 *

1 UFR Sciences de la Nature, Université Nangui Abrogoua, BP 801 Abidjan 02, Côte d’Ivoire
2 Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire, BP 1303 Abidjan 01, Côte d’Ivoire
3 Ecole de Spécialisation en Elevage de Bingerville, BP 58 Bingerville, Côte d’Ivoire
* M.W. Koné, Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire, 01 BP 1303 Abidjan 01, Côte d’Ivoire.
mamidou.kone@csrs.ci

Résumé

Les infestations par les tiques constituent une contrainte majeure à l’élevage des ruminants en Côte d’Ivoire. Cette situation est aggravée par le développement de phénomène de résistance récemment décrit au sein des populations de Rhipicephalus (Boophilus) microplus. Une enquête sur les méthodes traditionnelles de lutte contre les tiques a été menée dans trois départements, à savoir Bringakro au centre, Dikodougou et Ferkessédougou dans le nord de la Côte d’Ivoire. L’objectif était d’inventorier les stratégies utilisées par les éleveurs pour lutter contre les tiques. Un questionnaire a été administré à 123 éleveurs dont 43 ayant un cheptel de petite taille (10 ± 5 têtes) et 80 un cheptel de grande taille (60 ± 10 têtes).

 

 A côté de l’alimentation (49 %) qui constitue une contrainte importante, les éleveurs incriminent les tiques comme responsables de la plupart des symptômes dont souffrent les animaux. Les plus fréquents sont l’anémie (37 %) et la fièvre (24 %). Les stratégies de lutte contre ces acariens sont basées essentiellement sur l’utilisation d’acaricides de synthèse pour 68,1% des éleveurs interrogés (100% à Dikodougou) mais une diminution de sensibilité a été rapportée. Les autres méthodes adoptées dans les différentes zones sont l’arrachage ou détiquage manuel (42,2 %), l’usage d’huile de vidange ou de moteur (33,3 %), l’usage de plantes médicinales (11,1 %) dont 5 espèces sont signalées ici. Ces résultats montrent qu’une alternative pour le contrôle des tiques pourrait être développée à partir de ces pratiques traditionnelles, notamment l’emploi de plantes médicinales.

Mots-clés: ethnomédecine vétérinaire, bovin, plante médicinale, pratiques traditionnelles



Control of livestock ticks in Côte d’Ivoire using traditional ways

Abstract

Ticks infections are a major constraint in ruminant breeding in Côte d’Ivoire. This situation is increased by the development of resistance recently described within the populations of Rhipicephalus (Boophilus) microplus. A survey on knowledge of traditional methods of struggle against ticks was conducted in three departments, namely Bringakro in Central, Dikodougou and Ferkessédougou in Northern Cote d’Ivoire. A questionnaire was administered to 123 breeders owning small livestock herds (≤ 10 heads) and large livestock herds (≥ 60 heads). The objective was to record the strategies used by livestock owners to fight against ticks.

 

The most frequent symptoms were diarrhea (28%) and fever (26%). Besides the food (49%) which is a major constraint, breeders have incriminated ticks as responsible for most symptoms affecting animals. Control strategies are primarily based on the use of synthetic acaricides (68.1%), but reduced sensitivity was reported. The other practices in the fight against ticks were manual lifting or manual diptank (42.2%), the use of waste oil or engine (33.3%), and plants (11.1%). These results show that an alternative for the control of ticks could be developed from these traditional practices, especially the utilization of medicinal plants.

Keywords: ethnoveterinary medicine, traditional practices, cattle, medicinal plant


Introduction

La Côte d'Ivoire, pays côtier Ouest africain n'a pas une forte tradition pastorale. Elle dépend habituellement de la région sahélo-soudanienne pour son approvisionnement en viande de bétail (Diallo, 2007). Pour réduire cette dépendance, l'Etat ivoirien a mis en place une stratégie pour stimuler le développement de l'élevage. Cela s’est traduit par la création en 1970 de l’ex Société de Développement des Productions Animales (SODEPRA), le financement de projets d’encadrement et de développement de l’élevage et la création d’infrastructures agro-pastorales notamment dans la région Nord du pays. Malgré tous ces efforts consentis, le déficit en viande demeure (Djakaridja et al., 2014). Cette situation est créée par de nombreuses contraintes qui sont à la fois alimentaires, sociales et sanitaires (Yapi, 2007), notamment le parasitisme par les tiques qui occupe une place de choix dans l’élevage des bovins (Djakaridja et al., 2014 ; Yapi, 2007 ; Montenegro, 1992). Selon Achi et al. (2012), en Côte d'Ivoire la tique de la cowdriose Amblyomma variegatum est prédominante avec des prévalences variant entre 66 et 90 % selon les fermes. A côté de celle-ci, depuis 2007, une nouvelle espèce de tique a été découverte en Côte d’Ivoire (Madder et al., 2007). Il s’agit de la tique tropicale du bétail Rhipicephalus (Boophilus) microplus qui a été importée du Brésil et commence à s’étendre à tout le territoire national (Madder et al 2011).

 

Les tiques causent une baisse de productivité en entraînant un retard de croissance et une perte de poids (Stachurski, 2004). Elles sucent le sang de leur hôte  et sont souvent à l'origine de l'anémie sévère dont souffrent les animaux (Keita, 2007). Par ailleurs, elles ont la capacité de transmettre un large spectre d'organismes pathogènes tels que des virus, des rickettsies et des spirochètes (Jorgensen et al., 1992), responsables de maladies graves chez les animaux. Les pertes annuelles dues à ces maladies transmises par les tiques sont estimées à 17,33 milliards de Dollars  dans le monde et il est estimé que 80 % de la population du bétail mondial sont exposés aux tiques et aux maladies qu’elles transmettent (Djakaridja et al., 2014).

 

Pour faire face à ces parasites, l’usage des acaricides de synthèse est la pratique la plus courante. Cependant ces dernières années, une réduction de la sensibilité, voire une résistance à ces produits est rapportée un peu partout en Europe, en Amérique du Sud (Fernandez-Salas et al., 2012 ; Lovis, 2012) et dans certains pays d’Afrique de l’Ouest tels que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso (Kandé, 2014). Par ailleurs, ces produits sont nocifs à cause de leur écotoxicité (Merhi, 2008).

 

Pour préserver leur santé et celles de leurs animaux, les éleveurs ont développé diverses méthodes ou stratégies de lutte. L'objectif de ce travail était d’inventorier les pratiques des éleveurs en matière de lutte contre les tiques, avec un accent particulier sur les méthodes traditionnelles de lutte, notamment l’utilisation de plantes acaricides dans trois zones d’élevage de la Côte d’Ivoire. Il s’agit des départements de Bringakro, Dikodougou et Ferkéssedougou.


Matériel et méthodes

Zones d’enquêtes

 

Les sites d'étude pour les enquêtes sont les localités de Bringakro au centre dans le département de Toumodi et au Nord, les départements de Dikodougou et de Ferkéssedougou (Figure 1). Ces localités sont des zones d'élevage moderne, traditionnel et de transhumance.

Figure 1. Carte de la Côte d’Ivoire indiquant les sites d’étude
Enquêtes dans les trois zones d’élevage

 

Les enquêtes ont été menées entre mars et octobre 2014 dans les différentes localités. Le questionnaire a été administré à 123 éleveurs, dont 43 ayant un cheptel de petite taille (10 ± 5 têtes)  et 80 ayant un élevage de grande taille avec 60 ± 10 têtes (Tableau 1). Le choix des villages et des éleveurs par localité a été fait de façon aléatoire et en fonction de la disponibilité des éleveurs. Les données ont été recueillies à l’aide d’interviews semi-structurées. Ces enquêtes ont été menées sur les parcs à bétail ou les lieux d’habitation des éleveurs, le plus souvent avec un traducteur.

 

Les informations recueillies ont porté sur le statut socio-économique des éleveurs, la présence de tiques, les maladies causées par les ectoparasites, les traitements modernes utilisés contre les tiques, et la connaissance de méthodes traditionnelles de lutte, y compris l’usage des plantes. Les informations sur les plantes comprenaient le nom local, les indications thérapeutiques, le mode de préparation et d’administration.

Tableau 1. Répartition des enquêtés dans les différentes zones

Localités

Villages/quartiers

Nombres d'enquêtés

Sous-total

Bringakro

Dioulakro
Blebo
Savane
Dehimakro

6
16
8
10

40

Dikodougou

Fonctionnaire
Flabougou
Nagadougou
Route de Tapéré
Route de la préfecture

3
7
7
13
7

37

Ferkessédougou

Tchassanakaha
Dekokaha
Parawalakaha
Tchologokaha
Nambirguekaha
Tchiebinguékaha

6
14
10
10
4
2

46

Total

123

Collecte et identification des espèces végétales inventoriées

 

Des échantillons d’herbier de chaque plante médicinale indiquée ont été récoltés, avec l’aide des informateurs  en vue de l’identification botanique. L’actualisation des noms des espèces végétales a été faite à l’aide des flores d’Afrique (Aké Assi, 1984 ; Lebrun et Stork, 1991, 1992, 1995 et 1997).

 

Traitement des données

 

Les fréquences de citation des différents symptômes et des acaricides de synthèse utilisées, ont été calculées. Les données sur les plantes ont été traitées selon le critère de consistance vétérinaire (Kansonia et Ansay1997). Il y a consistance lorsque la même plante, le même genre ou la même famille est mentionné au moins deux fois pour traiter la même maladie ou affection.

 

Analyses statistiques des données

 

Les données de l’enquête ont été saisies en utilisant le logiciel Epidata. Les tableaux ont été réalisés avec le logiciel SPSS 20 pour mieux comprendre et interpréter le niveau de connaissance des tiques, leurs impacts sur l’élevage,  les méthodes utilisées pour lutter contre ces acariens et les différents acaricides chimiques utilisés. Le test de Khi2 suivi de la procédure de Marascuilo a été utilisé pour déterminer les différences significatives entre les localités enquêtées au seuil 0,05.


Résultats

Caractéristiques socio-démographiques des éleveurs enquêtés

 

Dans les localités visitées (Bringakro, Dikodougou et Ferkessédougou), comme indiqué par le tableau 2, le bétail est détenu surtout par des hommes (97,5 %), n’ayant majoritairement pas un niveau d’étude (62,8 %). Ils sont pour la plupart jeunes (39±9 ans) et exercent de longue date (55,1%) l’élevage. Les personnes enquêtées sont soit des propriétaires des animaux détenus (72,4 %), soit des bouviers (27,6 %). L’activité principale des éleveurs reste l’agriculture (69,1 %) ; l’élevage ne constitue l’activité  principale que pour 30,9 %. Dans les différentes localités, nous avons rencontré une forte communauté de Peulhs qui pratique l'élevage depuis plusieurs années. La majorité des éleveurs interrogés affirment avoir appris auprès de leurs parents. L’élevage représente pour ces personnes une importante source de revenus économique et alimentaire. Les animaux rencontrés dans les différentes localités sont en majorité des bovins (63,1%), principalement des zébus (54,7%).

Tableau 2. Caractéristiques des éleveurs dans le nord et le centre de la Côte d’Ivoire

Paramètres

Zones d’étude (%)

Moyenne

Bringakro

Dikodougou

Ferkessédougou

Effectif

40

37

46

123

Genre

Homme

92,5

100

100

97,5

Femme

7,5

0

0

2,5

Niveau d’étude

Analphabète

27,5

89,2

71,7

62,8

Primaire

42,5

0

19,6

20,7

Secondaire

20

2,7

6,5

9,7

Coranique

10

8,1

2,2

6,8

Age (ans)

41±8

35±5

42±7

39±9

Ancienneté (ans)

Depuis toujours

25

94,6

45,7

55,1

Moins de 3 ans

32,5

2,7

13

16,1

Trois ou plus

42,5

2,7

41,3

28,8

Statut de l’enquêté

Propriétaire

92,5

37,8

87

72,4

Bouvier

7,5

62,2

13

27,6

Activité principale

Agriculture

72,5

100

34,8

69,1

Elevage

27,5

0

65,2

30,9

Autres

0

0

0

0

Bovins rencontrés

Zébu (Z)

57,1

54,1

52,9

54,7

Taurin (T)

38,1

27

44,2

36,4

Race exotique

0

0

2,9

1

Croisé Z et T

4,8

18,9

0

7,9

Espèces d’animaux

Bovin

30

94,6

64,6

63,1

Ovin

30

5,4

2,1

12,5

Caprin

40

0

33,3

24,4

Caractérisation de la conduite sanitaire

 

Les paramètres liés aux maladies et leurs traitements sont donnés dans le tableau 3. Les enquêtes ont révélé que la majeure partie des éleveurs (85,4%) sont fréquemment confrontés à des maladies au sein de leurs élevages. L’alimentation est la contrainte prédominante (71 %) par rapport aux problèmes d’ordre sanitaire (29 %). Pour les types de maladies rencontrées, la diarrhée est le symptôme le plus fréquent (29,3 %) chez les animaux. Elle touche 42 % des élevages visités à Bringakro. La diarrhée est suivie de la fièvre (23,7 % de fréquence de citation) et de la perte de poids (18,3 %). Selon ces éleveurs, les maladies dont souffrent les animaux sont dues à plusieurs facteurs. Les avis sont partagés sur l’implication de ces facteurs, mais l’alimentation est la cause la plus indiquée (51,7 %). En effet, l'alimentation est la cause la plus importante, pour 62%, 44% et 49% respectivement à Bringakro, Dikodougou et Ferkessédougou. Les autres étiologies sont les piqûres d'insectes, avec des fréquences de citation variant entre 18 et 23 % et de la transhumance avec 5% à Bringakro, 27 % à Dikodougou. Les maladies apparaissent particulièrement en saison pluvieuse pour 52,8 % des éleveurs en moyenne.

 

Ces maladies affectent toutes les catégories d’animaux (86 %). Lors de l’apparition de ces maladies, les éleveurs recourent principalement aux traitements modernes (78,6 %) alors que d’autres font appel aux méthodes traditionnelles (21,4 %). Ces traitements traditionnels sont plus utilisés à Bringakro (42,5 %) que dans les deux autres localités. Dans la prévention contre les maladies, les vaccinations sont faites contre la péripneumonie contagieuse bovine (100 %) de même que le déparasitage interne (100 %). Quant au déparasitage externe, il est pratiqué par 82 % des éleveurs.

Tableau 3. Maladies et traitements

Paramètres

Zones d’étude (%)

Moyenne

Bringakro

Dikodougou

Ferkessédougou

Présence des maladies

Oui

80

100

76,1

85,4

Non

20

0

23,9

14,6

Contraintes

Alimentation

74,1

70,6

68,3

71

Sanitaires

25,9

29,4

31,7

29

Type de maladie

Diarrhée

42

19

27

29,3

Fièvre

9

30

32

23,7

Amaigrissement

26

15

14

18,3

Anémie

7

17

15

13

Anorexie

1

5

1

2,3

Avortement

5

0

2

2,3

Autres

10

14

9

11

Origine des maladies

Alimentation

62

44

49

51,7

Piqûres d’insectes

22

18

23

21

Transhumance

5

27

0

10,7

Parasites gastro-intestinaux

3

5

0

2,7

Anorexie

0

0

4

1,3

Autres

8

6

24

12,7

Période d’apparition des maladies

Toute l’année

20

16,2

24

20,1

Saison pluvieuse

50

54,1

54,3

52,8

Intersaison

7,5

16,2

4,3

9,3

Saison sèche

22,5

13,5

17,4

17,8

Catégories affectées

Toutes

92,5

78,4

87

86

Adultes

7,5

5,4

4,3

5,6

Jeunes

0

16,2

8,7

8,4

Traitements

Modernes

57,5

100

78,3

78,6

Traditionnels

42,5

0

21,7

21,4

Aucun

0

0

0

0

Vaccinations

Non

0

0

0

0

Oui

100

100

100

100

Déparasitages internes

Non

0

0

0

0

Oui

100

100

100

100

Déparasitages externes

Oui

72,5

86,5

87

82

Non

27,5

13,5

13

18

Insectes nuisibles et symptômes liés aux piqûres des tiques

 

Les paramètres liés aux insectes nuisibles et les symptômes causés sont donnés dans le tableau 4. La majeure partie des éleveurs (88,6 %) ont rapporté la présence d’insectes nuisibles dans leurs élevages. Les tiques (49,3 %) et les mouches tsé-tsé (30,3 %) sont considérées par les éleveurs comme les principales causes de transmission de maladies (Tableau 4). Les tiques sont indiquées par 56% des élevages visités dans la localité de Dikodougou, 52 % à Ferkessédougou et 40 % Bringakro. Dans cette dernière localité, contrairement aux deux autres (12 %), les moustiques ont été incriminés par 37,1 % des éleveurs. Les maladies ou symptômes fréquemment observées suite aux piqûres des tiques sont l’anémie (36,7 %), la fièvre (23,6 %),  des dermatoses (20,1 %) et l’amaigrissement (19,6 %). Selon les éleveurs, les tiques sont responsables de nombreuses maladies pouvant entraîner la mort et une baisse considérable de la productivité. Les taons et les stomoxes n’ont pas été cités comme vecteurs de maladies selon les éleveurs.

 

Il faut noter qu’au cours de cette enquête, aucun éleveur n'a mentionné que les tiques provoqueraient des diarrhées chez les animaux.

Tableau 4. Insectes nuisibles rencontrés dans les élevages visités

Paramètres

Zones d’étude (%)

Moyenne

Bringakro

Dikodougou

Ferkessédougou

Présence d’insectes nuisibles

Oui

87,5

100

78,3

88,6

Non

12,5

0

21,7

11,4

Types d’arthropodes

Tiques

40

56

52

49,3

Mouches tsé-tsé

22,9

32

36

30,3

Moustiques

37,1

12

12

20,4

Taons

0

0

0

0

Stomoxes

0

0

0

0

Symptômes liés aux tiques

Anémie

33,3

36,7

40,2

36,7

Fièvre

16,2

28,6

25,9

23,6

Dermatoses

24,1

4,1

32,1

20,1

Amaigrissement

26,4

30,6

1,8

19,6

Méthodes utilisées dans la lutte contre les tiques

 

Deux méthodes de lutte sont utilisées contre les tiques du bétail. Il s’agit des méthodes traditionnelles et de l’utilisation d’acaricides de synthèse.

 

Déparasitage conventionnel

 

L’enquête a montré que les produits de synthèse sont les plus utilisés dans les différentes localités (Figure 2). Les éleveurs de la localité de Dikodougou utilisent uniquement les acaricides synthétiques pour la lutte contre les tiques. Une différence significative a été observée tant dans l’utilisation des méthodes traditionnelles que dans l’usage des produits chimiques dans les trois zones étudiées.

Les histogrammes portant les mêmes lettres ne sont pas significativement différents.
Figure 2. Méthodes utilisées dans la lutte contre les tiques

Les acaricides de synthèse utilisés pour lutter contre les tiques sont constitués en majorité de l'Amitraz 12.5 (Figure 3) puis de l’aphacyperméthrine, la cyperméthrine et la perméthrine. Toutefois, les éleveurs trouvent que ces produits sont inefficaces contre certaines tiques, notamment celles du genre Boophilus. Le test de Khi2 effectué montre qu’il n’y a pas de différence significative dans l’utilisation de l’amitraz 12.5 dans les différentes localités enquêtées. Il en est de même pour les autres acaricides.

Les histogrammes portant les mêmes lettres ne sont pas significativement différents.
Figure 3. Taux d’utilisation des acaricides
Conséquences des acaricides de synthèse

 

Les enquêtés ont relevé que la majorité (95,8 %) des éleveurs interrogés ont connaissance des conséquences néfastes des acaricides de synthèse sur les hommes, les animaux et l'environnement (Tableau 5).

Tableau 5. Effets négatifs rapportés des acaricides de synthèse

Paramètres

Zones d’étude (%)

Moyenne

Bringakro

Dikodougou

Ferkessédougou

Connaissance des dangers

Oui

87,5

100

100

95,8

Non

12,5

0

0

4,2

Conséquences

Hommes

61

75

64

66,7

Animaux

12

15

16

14,3

Autres éléments de l’environnement

18

10

20

16

Aucune

9

0

0

3

Selon les éleveurs, l'effet néfaste de ces produits de synthèse est plus ressenti au niveau des hommes (66,7% des enquêtés) car en contact permanent avec ceux-ci, suivi de l'environnement (16,0 %) et enfin des animaux (14,3 %). Dans la localité de Dikodougou, les conséquences des acaricides chimiques sur les hommes ont été plus mentionnées.

 

Les effets indésirables notés comme causés par la plupart des acaricides au niveau des hommes, sont des céphalées et des irritations des yeux. Chez les animaux, ces produits provoquent souvent une perte des poils et l'apparition de boutons ou taches tandis qu’au niveau de l'environnement, on note une intoxication de tout ce qui est dans les environs où les produits ont été pulvérisés.

 

Méthodes alternatives

 

Des méthodes alternatives sont utilisées par les éleveurs mais leur usage est faible du fait de la modernisation, mais aussi de la taille du cheptel. Les enquêtes menées dans les différentes zones d'étude montrent que l'arrachage manuel est la méthode traditionnelle la plus utilisée dans la zone de Bringakro. Tandis que dans la localité de Ferkessédougou, l’application d'huile de vidange est dominante (Figure 4). Dans le département de Dikodougou, aucun éleveur n'utilise les méthodes traditionnelles en raison de la taille du cheptel qui est en moyenne de 70 têtes.

Les histogrammes portant les mêmes lettres ne sont pas significativement différents.
Figure 4. Méthodes alternatives de lutte contre les tiques
Plantes utilisées pour le déparasitage traditionnel et consistance ethnovétérinaire

 

L’usage des plantes médicinales est peu commun (Tableau 6). La consistance ethnovétérinaire est importante pour les plantes recensées car elles ont été citées au moins deux fois  lors de l’enquête. C’est seulement à Bringakro et Ferkessédougou que des plantes utilisées contre les tiques ont été citées, avec des fréquences citation variant entre 10 et 60%. A Dikodougou, les éleveurs semblent avoir délaissé l’usage des plantes. Ils ont mentionné ne pas connaître de plantes contre les tiques.

Tableau 6. Fréquences de citation (%) et consistance ethnovétérinaire des plantes utilisées dans la lutte contre les tiques

Espèces végétales

Zones d’étude

    Bringakro

    Dikodougou

Ferkessédougou

n

%

n

%

n

%

Khaya senegalensis (Desr.) A. Juss.

0

0

0

0

2

22,2

Sclerocarya birrea (A. Rich.) Hochst.

0

0

0

0

3

33,3

Securidaca longepedunculata Fres

0

0

0

0

3

33,3

Vernonia amygdalina Delile

3

60

0

0

0

0

Zanthoxylum zanthoxyloides (Lam.) Zepern &Timler

2

40

0

0

1

11,11

n = consistance ethnovétérinaire

Cinq plantes ont été citées comme ayant des effets acaricides (Tableau 7). Ce sont Vernonia amygdalina (ndolé),  Zanthoxylum zantholoïdes (fagarier), Khaya senegalensis (caïlcedrat ou acajou du Sénégal), Securidaca longepedunculata et Sclerocarya birrea (arbre-éléphant). Seule Z. zanthoxyloïdes  est utilisée à la fois à Bringakro et Ferkessédougou. Le mode de préparation dominant est la décoction pour une application topique. Ces plantes sont utilisées seules et non associées à d’autres plantes ou ingrédients.

Tableau 7. Plantes utilisées contre les tiques

Espèces végétales

Famille

Parties
utilisées

Types biologiques
et chorologie

Mode de préparation
et administration

Khaya senegalensis (Desr.) A. Juss.

Meliaceae

Feuilles

mP, A, SZ

Décoction en bain

Sclerocarya birrea (A. Rich.) Hochst.

Anacardiaceae

Feuilles

mp, A, SZ

Macération en bain

Securidaca longepedunculata Fres

Polygalaceae

Racines

mp, A, SZ

Décoction en bain

Vernonia amygdalina Delile

Asteraceae

Feuilles

mp, A, GC-SZ

Décoction en bain

Zanthoxylum zanthoxyloides (Lam.) Zepern &Timler

Rutaceae

Ecorces tiges

mp, A, GC-SZ

Macération en bain

mP = Mésophanérophyte ; mp = Microphanérophyte ; A= Taxon africain (Afrique intertropicale) ;
GC = Taxon de la Région guinéo-congolaise (forêt dense humide) ;
SZ = Taxon de la Région soudano-zambézienne (savanes, forêts claires ou steppes de cette région)

D’après les éleveurs les résultats de l’utilisation de ces plantes sont généralement plutôt bons. On note une mortalité complète des tiques après traitement.

 

Autres remèdes ou traitements ethnovétérinaires

 

Hormis l'arrachage manuel, l'huile de vidange et les plantes, certains éleveurs utilisent le beurre de karité associé à la potasse, ou du pétrole mélangé à des gélules communément appelées « toupaille » pour venir à bout des tiques.


Discussion

L’enquête menée dans les localités de Bringakro, Dikodougou et Ferkessédougou sur la connaissance des méthodes traditionnelles de lutte contre les tiques a permis de montrer que parmi les symptômes généraux observés chez les animaux, la diarrhée est le symptôme le plus fréquent. Ce résultat corrobore celui de Hounzangbé (2001) qui lors d'une enquête réalisée au sud du Benin a montré que la diarrhée était le principal symptôme retrouvé chez les animaux malades.

 

Selon les éleveurs, l’alimentation est la première contrainte à l'origine des maladies dont souffrent les animaux. Ces résultats sont en accord avec ceux de Tamboura et al. (1998) qui lors d'une enquête vétérinaire menée dans la province de Passoré au Burkina Faso a rapporté que l'alimentation est la cause principale des maladies qui frappent le bétail dans cette région. Ce facteur est suivi des piqûres des tiques qui sont responsables de la majorité des maladies qui affectent les animaux. Selon Houndete (1990), 86 % des maladies importantes dont souffrent les animaux en République du Bénin  sont dues aux tiques. Tall (1984) a aussi rapporté au cours des enquêtes menées chez les Peulhs pasteurs en Mauritanie que les tiques sont responsables de la plupart des maladies des animaux. Ces parasites transmettent de nombreuses maladies qui déciment les animaux (Keita, 2007). L’anémie est le symptôme dominant observé suite aux piqures des tiques, pour 37 % des éleveurs. Ceci est compréhensible, car les tiques sont des hématophages qui entraînent la mort des animaux par anémie (Commission européenne, 2005).

 

Pour lutter contre les tiques et les maladies qu’elles provoquent, plusieurs méthodes de lutte sont  utilisées dans les localités visitées. L’enquête a montré que le taux d'utilisation des produits de synthèse est plus élevé dans les différentes localités au détriment des méthodes traditionnelles. L'amitraz est la molécule la plus utilisée dans toutes les zones enquêtées. Toutefois, selon les éleveurs, ces acaricides sont inefficaces contre certaines tiques, notamment celles du genre Boophilus. Ceci est souvent lié au fait que l’utilisation des acaricides ne repose pas sur une bonne planification du programme de contrôle des tiques (Mbogo et al., 1996 ; Morel, 2000). La conséquence majeure d’une telle pratique est la sélection de populations de tiques résistantes aux acaricides les plus utilisés dans la région comme l’amitraz. La résistance des tiques à l’amitraz comme mentionnée par les éleveurs enquêtés a été déjà rapportée en Asie, en Afrique et en Australie (Fernandez-Salas et al., 2012 ; Lovis, 2012). En Afrique de l’Ouest (Benin, Côte d’Ivoire et Burkina Faso), cette résistance a été prouvée par Kandé (2014). Il ressort aussi des enquêtes menées que l'arrachage ou détiquage manuel et l’application d'huile de vidange ou de moteur sont les méthodes traditionnelles les plus utilisées. Ces résultats sont similaires à ceux obtenus par Dougnon et al. (2015) et Hounzangbe (2001) respectivement dans les localités d'Abomey-Calavi et de Ouémé au Benin.

 

Cinq plantes ont été indiquées par les éleveurs comme ayant des propriétés acaricides. Ce sont Vernonia amygdalina (Asteraceae), Zanthoxylum zantholoïdes (Rutaceae), Khaya senegalensis (Meliaeae), Securidaca longepedunculata (Polygalaceae) et Sclerocarya birrea (Anacardiaceae). Les organes utilisés sont en prédominance les feuilles et les écorces de tronc. Les racines sont aussi souvent utilisées. L’usage majoritaire des feuilles en ethnomédecine vétérinaire a déjà aussi été mentionné dans plusieurs travaux (Matzigkeit, 1993 ; Tamboura et al., 1998 ; Dougnon et al, 2015). Toutefois, les plantes mentionnées par les éleveurs sont rapportées à notre connaissance pour la première fois pour leur usage contre les tiques.

 

Les enquêtes ont révélé que les éleveurs ont une connaissance des effets néfastes des acaricides de synthèse sur la santé.  Les pesticides sont à l’origine de maladies graves chez l’homme et sont toxiques pour l’environnement (Merhi, 2008 ; Romieu et al. 2000). Aussi Wolff et al. (2000) trouvent-ils que certains cancers tels que le cancer du sein pourraient être liés à l’exposition à certaines familles de pesticides.


Conclusion


Remerciements

Nous adressons nos remerciements au Programme d’Appui Stratégique à la Recherche Scientifique pour le financement de ce projet et le Centre Suisse de Recherches en Côte d’Ivoire pour l’assistance technique.


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Received 6 January 2016; Accepted 2 March 2016; Published 1 April 2016

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